Le Maroc, les Balkans et la péninsule Ibérique : trois approches différentes de la conservation des zones humides

Les 18 millions d’hectares de zones humides méditerranéennes constituent le deuxième plus grand hotspot de biodiversité au monde. La dégradation de ces écosystèmes cruciaux est principalement due aux activités humaines telles que la conversion des terres et le prélèvement excessif d’eau pour l’agriculture, le tourisme, les infrastructures industrielles et l’urbanisation. Avec plus de 20 pays méditerranéens concernés, la conservation de ces zones nécessite d’être adaptée non seulement à différents environnements naturels mais aussi à différents contextes sociopolitiques.

Grâce au projet international de 3 ans visant à développer la « Plate-forme de renforcement des capacités de la gestion et du prélèvement de l’eau« , coordonné par Wetlands International avec le soutien financier de la Fondation MAVA, différentes approches et stratégies ont été adoptées dans trois sites pilotes. 

Dans le bassin du Sebou au Maroc, l’agriculture est le principal moteur des prélèvements d’eau excessifs et menace la disponibilité en eau, le débit des rivières et les zones humides en aval. Le principal besoin est la mise en œuvre de pratiques durables d’utilisation de l’eau et d’encourager les agriculteurs à pratiquer une agriculture durable.

 

Oued Sebou, Maroc. Photo: © F. Maamouri

 

Le premier objectif du projet était de parvenir à une collaboration efficace entre les institutions, le secteur privé, les ONG, les scientifiques et la population locale. Le Fonds de l’Eau du Sebou (FES), un mécanisme de financement durable par lequel les principaux consommateurs d’eau en aval investissent dans la restauration en amont afin d’améliorer la qualité de l’eau et son approvisionnement, est basé sur une approche inclusive. Comme l’explique Yousra Madani – WWF Afrique du Nord et coordinatrice du projet : « Au début, il y avait beaucoup de scepticisme au sein du gouvernement, du secteur privé et de la société civile, mais lorsque nous avons emmené les partenaires gouvernementaux au Kenya, ainsi que les bailleurs de fonds et les médias, pour voir le Fonds de l’eau de Tana-Nairobi en action et rencontrer les autorités kenyanes chargées de l’eau, les choses ont commencé à changer. L’argument de rentabilité compatible avec le maintien de la sécurité écologique était clair. En seulement cinq ans, grâce à la gestion intégrée du bassin, le Fonds de l’eau de Tana-Nairobi a apporté des avantages à la faune et à la flore ainsi qu’à des milliers d’agriculteurs et de producteurs vivant dans le bassin versant. Nous sommes donc rentrés chez nous et avons adapté le modèle aux conditions locales au Maroc. » 

 

Visite d’échange pour voir le Fonds de l’eau de Tana-Nairobi en action. Photo : © Oussama Belloulid

 

En fournissant des preuves scientifiques de l’importance de la sécurité de l’eau et de la conservation de la nature, le FES convainc les parties prenantes de travailler collectivement pour une meilleure compréhension des catastrophes liées à l’eau et la mise en place commune d’une approche inclusive face au changement climatique et aux menaces qui pèsent sur la gestion de l’eau, la conservation de la nature. L’ambition est de reproduire le FES au niveau national.

Dans les Balkans, l’une des dernières rivières à écoulement libre d’Europe, la Vjosa/Aoós en Albanie et en Grèce, est menacée par la construction de barrages et de centrales hydroélectriques, comme le parc national de Mavrovo en Macédoine du Nord, les rivières de Bosnie-Herzégovine et en Serbie. Dans ces régions, il est essentiel de préserver les zones humides en s’opposant au boom hydroélectrique et en promouvant un développement vert alternatif. 

La campagne Cœur bleu (BHC en anglais) est mise en œuvre par un groupe d’ONG internationales et nationales, soutenues par diverses autres parties prenantes intéressées. En travaillant sur les alternatives vertes, la BHC a aidé Kutë, sur la Vjosa, à devenir le premier village autosuffisant en énergie d’Albanie. Elle a analysé la capacité solaire de Tirana et commandé des études pour mieux connaître les menaces que représente l’hydroélectricité en Méditerranée. S’opposer aux centrales hydroélectriques et aux barrages nécessite également d’agir en justice pour stopper les constructions. À cette fin, depuis 2019, l’initiative Lawyers for Rivers aide la population locale. Une autre action importante consiste à couper les flux financiers, en persuadant les prêteurs de ne plus investir dans l’hydroélectricité au profit des rivières, comme cela s’est produit en 2019 avec la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. 

Enfin, l’instauration du parc national de Vjosa, dans le cadre de la campagne « Sauver le cœur bleu de l’Europe », permettra de protéger environ 300 km de rivière et d’offrir aux populations une perspective économique. « Nous soutenons les défenseurs albanais de la nature dans leur demande de création d’un parc national. Ce fleuve mérite la catégorie de protection la plus élevée et aucun barrage ! Tout ce qui n’est pas un parc national serait inapproprié pour la Vjosa. Cette dernière grande rivière sauvage d’Europe revêt une importance internationale », déclare Annette Spangenberg, responsable de la conservation à EuroNatur.

 

Vjosa River. Photo: © Romy Durst

 

Dans la péninsule Ibérique, le Douro/Duero et le Tage sont des bassins transfrontaliers menacés par les activités humaines, principalement l’agriculture et les barrages. Le Consortium des fleuves ibériques, dirigé par Ana Catarina Miranda – GEOTA – est un partenariat multidisciplinaire d’experts juridiques et de défenseurs de l’environnement portugais et internationaux visant à promouvoir la protection des fleuves propres et à écoulement libre, avec un accent particulier mis sur les bassins du Douro et du Tage. Comme dans les deux autres sites pilotes, il a été nécessaire de mener des études scientifiques pour améliorer les connaissances sur les impacts cumulatifs de l’hydroélectricité sur les écosystèmes et les moyens de subsistance et pour sensibiliser communautés et décideurs aux sources d’énergie alternatives. Pour être plus efficace, GEOTA a encouragé une proposition législative – l’Iniciativa Legislativa de Cidadãos – visant à élaborer la première loi portugaise pour protéger les rivières et créer des réserves naturelles, ainsi que MovRioDouro, un mouvement citoyen.

Les études de cas sur le Sebou, la Vjosa et le Douro illustrent la complexité de la préservation des zones humides et du bassin versant correspondant, dans divers contextes politiques et socio-économiques méditerranéens. Leurs histoires montrent comment la connaissance, la coopération, l’inclusion et la détermination, adaptées aux besoins locaux, sont cruciales pour préserver les zones humides.