Entretien de Thanos Giannakakis, Coordinateur du programme “Conservation des zones humides sur les îles grecques” de WWF Grece
1.Quels sont les principaux problèmes auxquels font face les zones humides de Crète ?
Globalement, la Crète compte 209 zones humides dont 107 sont naturelles, les autres sont artificielles. Parmi les zones humides naturelles, 30% sont en état de dégradation grave et il est prévu que dans les prochaines années, elles perdront leurs fonctions naturelles ou disparaîtront complètement. La preuve, depuis 2007, date où le WWF Grèce a commencé à travailler en Crète pour établir un inventaire des zones humides, douze sites ont disparu. Les raisons les plus importantes de cette dégradation en Crète – comme dans d’autres îles grecques – viennent de la pression du développement touristique sur ces zones et de l’urbanisation côtière. Les menaces les plus graves rencontrées sur les zones humides des îles sont, par ordre d’importance : les dépôts de déchets solides, le comblement, l’arrachage de la végétation, l’expansion des terres agricoles, la construction et l’ouverture de routes. Les autres activités de dégradation importante sont la circulation des véhicules hors des routes (voitures et motos), l’utilisation des zones humides comme aires de stationnement pendant les mois d’été et la pollution de l’eau par les déchets urbains et industriels.
2.Quelle est votre mission concernant la protection des zones humides?
En 2004, le WWF Grèce a pris l’initiative d’établir un inventaire des zones humides des îles de la Mer Egée et de promouvoir des actions de conservation pour ces sites. Jusqu’alors, les connaissances sur le nombre, l’importance et les problèmes rencontrés par les écosystèmes des zones humides sur les îles étaient plutôt fragmentées, même s’il existait déjà divers rapports mettant l’accent sur leur importance.
Les résultats importants apportés par le programme d’inventaire a montré la nécessité d’un programme similaire pour la Crète et les îles Ioniennes et en 2007 l’inventaire des zones humides dans le reste des îles grecques a commencé. Aujourd’hui, dans le cadre du programme «Protection des zones humides des îles grecques” nous avons enregistré 813 zones humides naturelles et artificielles dans 75 îles. Les objectifs initiaux du projet étaient non seulement d’inventorier et de suivre l’état de ces zones humides mais aussi de :
– Arrêter leur dégradation (en essayant de créer un cadre juridique approprié, l’élaboration de plaintes, etc)
– Développer des exemples de bonnes pratiques de conservation et de gestion des zones humides insulaires (création d’un réseau de zones humides qui seront devenues des modèles de conservation efficace et de gestion intégrée)
3.Pouvez-vous décrire le projet que vous menez en Crète avec des bénévoles locaux ?
Depuis 2007, de nombreux citoyens nous ont fourni des informations sur la dégradation de leurs zones humides locales. Afin de profiter de cette dynamique et parce que grâce au programme il y avait déjà un bureau WWF en Crète, un réseau de «citoyens actifs» a été mis en place, en février 2011, pour suivre l’état des zones humides dans l’île. Le réseau a été fondé sur la philosophie suivante : renforcer les capacités locales de sorte qu’à la fin du projet, l’expérience et la connaissance des chercheurs soient conservées par les citoyens afin qu’ils puissent continuer à protéger leurs zones humides.
Pour soutenir ce réseau, un employé du WWF Grèce est uniquement affecté à la supervision générale et coordonne les bénévoles, avec l’aide de chercheurs d’autres programmes.
80 bénévoles venant de toute la Crète ont répondu à notre premier appel. Chacun d’eux a “adopté” une ou plusieurs zones humides naturelles et a pris la responsabilité de son suivi par des visites mensuelles et par l’enregistrement des interventions humaines, comme la disposition des gravats, le comblement, la construction, etc. En outre, chaque bénévole a reçu un kit de test de qualité de l’eau afin qu’il puisse mesurer systématiquement les indicateurs de qualité de l’eau dans leur domaine de responsabilité, comme le pH, la concentration en oxygène dissous, les nitrates, les phosphates, la DBO et l’opacité. A la fin de chaque visite, le bénévole envoie un bref rapport au coordonnateur du programme en mentionnant tous les problèmes de dégradation. Dans le cas où un des problèmes est jugé « grave », le coordinateur du réseau, avec l’aide de l’équipe légale du « Citizen Group Support » du WWF Grèce, écrit une lettre de plainte aux services concernés du public en interrogeant la légalité de ces interventions.
4.Comment prévoyez-vous de soutenir ce réseau de bénévoles ? Pensez-vous qu’il peut être reproduit dans d’autres régions ou pays?
Naturellement, la coordination des réseaux de bénévoles est un projet difficile. Il faut toujours être prêt à informer les bénévoles de ce qui se passe, à recevoir et traiter les données fournies par eux, les former et, enfin, les encourager régulièrement sur le but de leur travail. Pour y parvenir, les bénévoles participent à des séminaires d’apprentissage de longue durée, à des réunions ainsi qu’à des événements qui visent à présenter les actions du réseau aux communautés locales. De plus, les volontaires reçoivent un bulletin d’information qui contient les nouvelles importantes de leurs visites et les actions du réseau.
La création et l’organisation du réseau en Crète est l’une des priorités du WWF Grèce et du programme « Protection des zones humides des îles grecques”. Cette activité est très importante aussi parce qu’elle vise à nous fournir l’expérience de la création de réseaux de bénévoles pour d’autres îles grecques. Déjà, dans certaines îles comme Lesbos, Limnos, Paros, Andros, Skyros et d’autres, un petit réseau “alerte rouge” est en opération, comprenant des organisations environnementales locales et des citoyens en contact avec le WWF Grèce. Ce réseau a fourni des résultats importants concernant l’avertissement en temps opportun en cas de dégradation des zones humides. Nous avons enregistré, jusqu’à aujourd’hui, plus de 60 cas de dégradation qui ont fait l’objet d’un courrier vers les services publics.
Donc, basé sur l’expérience du réseau de bénévoles de la Crète ainsi que la présence de « citoyens actifs » dans les autres îles, nous sommes convaincus que la Crète n’est que le début et que le réseau peut s’étendre à d’autres endroits en Grèce ou même d’autres endroits en Europe. Le réseau MedWet pourrait contribuer à son expansion.
5.Avez-vous quelques exemples de réussites à partager avec nos partenaires?
Même avant l’établissement de la version “officielle” de ce réseau début 2011, il y a eu des interventions couronnées de succès en travaillant avec les « citoyens actifs », en Crète. Par exemple la mobilisation des communautés locales à Malia, Héraklion et Almyros, Agios Nikolas, afin d’éviter des dégradations et promouvoir la protection des zones humides.
Cette coopération s’est renforcée après la création du réseau et a engendré d’importantes activités de conservation des zones humides comme par exemple la délimitation par des poteaux fixes des zones humides de Almyros en Agios Nikolas et sur l’Etang de la rivière Malia en collaboration avec le Mouvement écologique Miramvellou et Sarpidonistas respectivement.
Un autre cas est Moronis à Souda, Chania, qui dans les dernières décennies a été utilisé comme un dépotoir pour les ordures et les matériaux inertes. Alors qu’il y avait des plans d’urbanisation sur ce site, la mobilisation active de volontaires du WWF Grèce a conduit à l’abandon de ces plans. Les citoyens locaux et la municipalité de Souda, a même décidé de retirer les matériaux inertes et de restaurer et de promouvoir la zone humide. Jusqu’à présent, 1/3 des matériaux déversés a été retiré, environ 10.000 m3, et le projet sera achevé dans les années à venir.
Finalement, ce qui apparaît comme l’aspect le plus important de ce réseau de bénévoles est que les gens ne se contentent pas du rapport des interventions négatives sur les zones humides, mais réagissent aussi de manière proactive en prenant des initiatives. Nous espérons que ce réseau donnera l’impulsion pour qu’encore plus de gens deviennent conscients et actifs pour la protection de ces écosystèmes fragiles.
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